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DOCUMENTS

Documentaire

"Outreau, l'autre vérité"

La Commission

d'enquête

parlementaire

"Outreau, l'autre vérité" est un documentaire sorti en 2013, produit par Bernard de la Villardière et réalisé par Serge Garde, ancien journaliste à l'Humanité qui s'est penché à l'époque sur l'affaire Zandvoort. 

Si certains protagonistes, notamment des avocats des acquittés n'y apparaissent pas, c'est parce qu'ils ont refusé les interviews.

 

Une vingtaine de protagonistes de cette procédure, dont des magistrats, le policier de Boulogne qui a entendu de nombreux enfants, des experts, sont entendus et expliquent en détail un nombre impressionnant de dysfonctionnements ou de choses pour le moins anormales.

 

Il va sans dire que les critiques contre ce documentaire pourtant resté inattaqué sur le plan judiciaire ont été acerbes. Elles venaient largement des avocats des acquittés et de la presse qui avait tellement pleuré sur leur sort.

 

Ce qui ne manque pas de piquant dans toutes ces critiques, c'est que ceux qui ont traité ce documentaire de "révisionniste" ou de "réquisitoire contre l'acquittement des suspects" sont aussi ceux qui ont largement piétiné la qualité de victime des 12 enfants qui ont été reconnus comme tels.

 

Il faut dire qu'on y apprend pas mal d'anecdotes croustillantes, comme le fait que les journalistes travaillaient avec de petits morceaux du dossier, choisis par les avocats de la défense. Quand on pense aux 30.000 cotes du dossier, on se dit que les journalistes étaient loin d'avoir toutes les billes en main pour prendre une position aussi tranchée.

 

Dans une interview écrite au Point, le juge Burgaud explique "Ce que montre le film, c'est ce qu'il s'est vraiment passé dans cette affaire, comment les choses ont évolué et quel a été le rôle des juges, des avocats, des hommes politiques et des journalistes. Résultat : on est bien loin de la "version officielle" de cette affaire".

Il ajoute que ce documentaire est "indispensable, car, dans cette affaire, la parole avait été confisquée par quelques-uns".

 

Au total, 23 personnes sont interviwées dans ce documentaire. Et des avocats comme Me Dupond Moretti, Franck Berton ou Hubert Delarue ont refusé de répondre, eux qui accusent ce film d'être partial.

 

 

> Me Pouille-Deldicque, avocate de Myriam Badaoui:

 

Elle est entendue le 1er février 2006

 

"Ce qui a fait l'énormité du dossier d'Outreau, c'est la presse, ce sont les médias. Si n'étaient pas apparus, à un certain moment, ceux que la presse a nommé "les notables" - une boulangère, un chauffeur de taxi qui avait le malheur de jouer au golf - ce dossier n'aurait peut-être pas pris cette ampleur.

 

Je voudrais rappeler quelques dates. En 1997, des assistantes sociales se rendent compte qu'il y a, chez deux enfants du couple Delay-Badaoui, des problèmes de nature sexuelle. Ces deux enfants se mettent des crayons dans le derrière devant d'autres enfants.

 

En février 2000, l'ensemble des enfants du couple sont placés. Pierre avait été placé bien longtemps auparavant, six ans auparavant.

 

En février 2001, la police interpelle M. Delay et Mme Badaoui.

 

En octobre 2001, il y a six nouvelles arrestations.

 

Un an se sera donc écoulé entre le placement de tous les enfants et l'interpellation de M. Delay et Mme Badaoui. On ne peut pas dire qu'il y ait eu précipitation."

 

Plus loin dans l'audition, elle poursuit: "on fait de ces personnes des victimes. C'est le revirement de la presse. C'est habilement fait, parce que, au moment où ces personnes deviennent des victimes, on va prendre comme bouc émissaire Myriam Badaoui. Elle va être la cinglée, la folle, celle par qui tous les maux arrivent, le chef d'orchestre des mensonges. On ne parle plus que de Myriam Badaoui, l'accusatrice Myriam Badaoui", rappelant qu'au départ, le juge Burgaud n'avait pas encore été attaqué par les médias.

 

"Ce n'est pas Myriam Badaoui qui a dit que Karine Duchochois était responsable de certains actes. Il faut le connaître le dossier, sans en rester à ce qui se dit. C'est Aurélie Grenon qui a parlé de Karine Duchochois, et non pas Myriam Badaoui (...) Il est complexe, ce dossier. Il ne se résume pas à un juge, une cinglée et Mme Gryson-Dejehansart [experte vilipendée par  certains avocats pour avoir estimé les enfants crédibles]. C'est beaucoup plus complexe que cela.".

 

Un autre détail sur la manière assez incroyable qu'ont eue certains avocats de la défense de diriger les débats:

 

"Lorsque j'ai posé une simple question à l'un des témoins au sujet d'une accusée, le conseil de celle-ci a été heurté par le fait que j'aie pu poser cette question, et m'a dit : "Enfin ! Ce n'est pas une conduite pour un avocat de la défense ! Vous êtes auxiliaire du ministère public ! Ce n'est pas pensable !" J'ai compris que ce conseil avait raison. Il y a une chose qui m'avait échappé. En tant qu'avocat de la défense, je défendais une accusée qui se reconnaissait coupable. Mais en posant cette question, je mettais en difficulté les autres avocats de la défense. Et à partir de ce moment-là, parce que je suis avocat et que j'étais avocat de la défense, j'ai fait le choix de la discrétion, je n'ai plus posé une seule question aux personnes qui criaient leur innocence. J'en ai posé à ceux qui reconnaissaient leur culpabilité, plus aux autres."

 

L'avocate de Badaoui rappelle aussi quel était le rapport de forces, quand des gamins de 7, 8, 10 ans, ont passé des heures à la barre, dans le box des accusés, à répondre aux questions des ténors du barreau lillois: " Les enfants voyaient devant eux dix-sept avocats en robe noire. C'est impressionnant. Ces petits enfants, parce qu'on leur montrait leurs contradictions, n'arrivaient pas à aller plus loin dans leurs déclarations.

Voilà l'ambiance. Et la presse, tous les jours, relatait le procès, avec des communications de certains avocats de la défense qui allaient dans le sens de l'innocence, de l'erreur judiciaire.

Myriam Badaoui, que l'on a traitée de menteuse, a servi à la défense. L'erreur, c'était Myriam Badaoui. C'eût été trop simple, ou trop difficile, de dire que tous les enfants avaient menti. C'est plus simple quand on a affaire à une accusatrice seule, que l'on fait passer pour une cinglée. Myriam Badaoui a été lapidée aux assises de Saint-Omer. C'est contre cela que je me suis battue.

Et quand Myriam Badaoui, qui vient d'entendre ses enfants et qui a vu qu'ils étaient en difficulté, déclare qu'elle a menti, là, on la croit. Le lendemain, le garde des Sceaux fait une intervention, le porte-parole du Gouvernement fait une intervention. Là, j'ai eu le sentiment très net que le dossier d'Outreau n'appartenait plus à Saint-Omer."

 

On a aussi beaucoup dit que Badaoui parlait parce qu'on lui faisait miroiter une libération conditionnelle. Voici ce que répond l'avocate de l'intéressée à Philippe Houillon, qui a bien insisté sur le "tandem" Badaoui-juge Burgaud, une notion reprise en choeur par les avocats de la défense et le médias:

 

"Lorsque je rencontre cette femme, je lui tiens un discours clair : « Vous avez reconnu les faits, à un ou deux près ; ce n'est pas la peine de déposer des demandes de mise en liberté, parce que, de toute façon, nous ne les obtiendrons pas ; et la détention provisoire que vous êtes en train de faire viendra en déduction de la peine que vous aurez au principal. Â» Par conséquent, il ne peut pas y avoir de chantage ou d'invitation à donner tel ou tel nom en vue de plaire au juge d'instruction, du moins pas à partir du moment où j'interviens dans le dossier, c'est-à-dire en septembre 2001, avant la seconde vague d'arrestations. Elle est prévenue. Je n'entrerai pas dans ce jeu-là. Nous ne déposons pas de demandes de mise en liberté. Si elle en a déposé une, elle l'a fait seule. Je ne suis pas allée devant la chambre de l'instruction. Je lui ai dit que ce n'était pas la peine de se battre sur ce terrain-là. Il n'y a donc pas de chantage pour obtenir une mise en liberté, ni une réduction de peine. Je me souviens qu'un jour, elle m'a déclaré avoir donné un nom par erreur. J'en ai parlé au juge d'instruction, et il n'a pas poursuivi sur ce point."

 

Un autre passage qui donne une idée de l'ambiance des "débats": "J'ai été mise à l'écart de tout le monde sur les bancs de la défense, uniquement parce qu'on me prenait pour un auxiliaire de justice, uniquement parce que j'essayais de trouver la vérité.

Et puisque vous voulez des précisions, je vais vous en donner une. Au moment où la fille de Mme Godard témoigne devant la cour d'assises, elle dit que sa mère ne connaissait pas Myriam Badaoui. Il faut savoir que Myriam Badaoui a intégralement expliqué comment était la chambre de la fille de Mme Godard. Je pose à ce témoin une question simple : vous pensez que votre mère se permet de montrer votre chambre à n'importe qui, à une personne qu'elle ne connaît pas ? Et là, je me fais traiter de salope par un avocat de la défense."

 

Au sujet de l' "entente" présumée entre les trois adultes accusateurs, Myriam Badaoui, et un couple de voisins, Aurélie Grenon et David Delplanque: "Je précise que lors du procès de Saint-Omer, j'ai posé plusieurs fois la question à David Delplanque de savoir si, à un moment ou à un autre, il y avait eu une concertation entre Myriam Badaoui, Aurélie Grenon et lui-même pour essayer de minimiser leur responsabilité. Il a soutenu devant la cour d'assises qu'il n'y avait jamais eu de concertation entre eux."

 

Et voici sa conclusion:

"On ne peut pas simplifier ce dossier en imputant les mises en détention aux déclarations de Myriam Badaoui. Le dossier est beaucoup plus complexe. Il y a toutes les déclarations des enfants, il y a les confirmations de ces déclarations par les quatre personnes qui ont été reconnues coupables, il y a les déclarations des experts, qui nous ont dit que ces personnes étaient crédibles. Le dossier est un amalgame de tous ces éléments.

D'ailleurs, monsieur le député, lorsque Mme Badaoui, à Saint-Omer, dit que ceux qui criaient leur innocence sont tous innocents, le jury ne les acquitte pas tous. C'est donc bien que le dossier se fondait sur autre chose que les déclarations de Myriam Badaoui"".

 

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"On ne peut pas simplifier ce dossier en imputant les mises en détention aux déclarations de Myriam Badaoui. Le dossier est beaucoup plus complexe. Il y a toutes les déclarations des enfants, il y a les confirmations de ces déclarations par les quatre personnes qui ont été reconnues coupables, il y a les déclarations des experts, qui nous ont dit que ces personnes étaient crédibles".

 

Me Pascale Pouille Deldicque,

avocate de Myriam Badaoui

Ceux qui n'ont de cesse de parler du "fiasco" d'Outreau évoquent souvent la commission d'enquête parlementaire.

 

Justement, voyons ce qui a été dit lors de ces auditions. Même si, il faut le souligner, personne n'a jugé utile d'interroger les quatre personnes jugées coupables, ni même les enfants...

 

> Me Hamani-Yekken, avocate d'Aurélie Grenon

 

Elle est entendue le 2 février 2006

 

Sur l'entente présumée entre les divers accusateurs, elle explique: "Mlle Grenon a été placée en garde à vue, ainsi que David Delplanque, le 6 mars 2001, trois mois après les Delay. Elle a très vite reconnu tous les faits, dès le 7 mars. Elle n'a pas pu se concerter avec les Delay ni avec David Delplanque, ses premières déclarations n'étant pas tout à fait concordantes. Elles se sont rapprochées au fil des auditions."

 

Sur les accusations portées par sa cliente, Aurélie Grenon, qui a fait partie des quatre adultes condamnés: "De juin 2001 jusqu'au 17 août 2002, date du premier avis de clôture du dossier par le juge Burgaud, j'ai assisté à deux des quatre auditions individuelles, plus une vingtaine de confrontations, au cours desquelles la crédibilité de ma cliente n'a fait aucun doute chez quiconque, puisqu'elle a mis en cause certaines personnes et en a disculpé d'autres (...) C'est seulement à Saint-Omer qu'Aurélie Grenon a fini par disculper treize personnes".

> Me Roy Nansion, avocate de David Delplanque

 

Elle est entendue le 2 février, en même temps.

 

Sur le fait, beaucoup répété, que Thierry Dausque, l'un des acquittés, serait resté plus d'un an sans avocat, elle explique: "Il est vrai que le 7 janvier 2002, Thierry Dausque a été confronté aux autres accusés sans être assisté. Pourquoi Me Gauthier n'était-elle pas là ? Parce que le barreau d'Evreux avait voté la grève générale dans le cadre d'un mouvement national. Le 16 janvier 2002, Me Gauthier a transmis tout le dossier à Me Caroline Matrat-Maenhout, qui a poursuivi sa défense avec succès et brio. Je cherche encore où sont les douze, quatorze, seize mois pendant lesquels j'ai entendu dire que Thierry Dausque serait resté sans avocat..."

 

On a beaucoup parlé des fautes, des erreurs qu'aurait commises un juge en particulier, et le système judiciaire en général. A ce sujet, elle répond: "Des fautes ont-elles été commises ? Je ne sais pas. Très honnêtement, je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est que, si c'est le cas, elles doivent être sanctionnées, quel que soit leur auteur. Il y a eu aussi quelques lynchages qui m'ont un peu choquée."

 

Elle précise aussi qu'elle a cherché à savoir où était la vérité dans les propos de son client, qui avait tendance à se rétracter après avoir dénoncé certains des accusés: "Je ne suis pas restée les bras croisés à écouter David Delplanque revenir sur ses explications. Je vous demande de me croire : une fois, j'ai pris David Delplanque entre quatre z'yeux et je lui ai dit : « Mais enfin, qu'est-ce que vous faites ? Je ne comprends plus ! S'ils sont coupables, dites-le, mais s'ils sont innocents, je vous en supplie, dites-le aussi ! Â» (...) Les yeux sur ses chaussures, il me disait : "Je vous l'ai dit, il y était". Quand je me fâchais, il m'envoyait balader : "Puisque je vous le dis, qu'il y était, enfin, foutez-moi la paix". "

 

> M Testut (ex membre de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai)

 

Il est entendu le 22 février 2006

 

Certains ont dit que le juge Burgaud avait eu la main lourde en matière de détentions préventives des suspects. Ce sont les juges des libertés qui en décident, pas le juge d'instruction. Le magistrat explique: "Dans cette affaire, certaines personnes ont été mises en examen. J'observe que certaines personnes mises en cause n'ont jamais été mises en examen et n'ont pas fait l'objet de poursuites. Je remarque aussi qu'il y a eu dix-huit enfants victimes - réelles ou supposées.

L'environnement général de cette affaire, lorsque j'étais à Douai, a été décrit par M. Lesigne, qui a utilisé le terme de « mythe de la pédophilie Â». Cela me surprend un peu. Il faut se rendre compte qu'en matière criminelle, en cour d'assises, les infractions sexuelles sont prédominantes."

 

"Le dossier d'Outreau était très volumineux : 18 tomes ! Quand on entend dire que le dossier est vide, il y a de quoi marquer une légère surprise !", dit-elle encore.

"Le dossier d'Outreau était très volumineux : 18 tomes ! Quand on entend dire que le dossier est vide, il y a de quoi marquer une légère surprise !"

 

C. Testut, ex magistrat à Saint-Omer

> Mme P. Fontaine (ex membre de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai)

 

Elle est entendue en même temps que Mme Testut

 

Sur les accusations portées contre Fabrice Burgaud, celle-ci est est très claire:

"La création de votre commission, la nécessité de venir m'expliquer devant vous m'ont contrainte à reprendre le dossier, à fond, avec pour seules « lunettes Â», d'abord, le résultat acquis, c'est-à-dire la seule condamnation de quatre personnes, et la mise hors de cause des autres, ensuite les critiques multiples du travail effectué par chacun. Et, c'est là que je vais vous choquer, mais peu m'importe : plus j'ai analysé la multitude des actes effectués par M. Fabrice Burgaud, personnellement ou sur ses instructions, plus j'ai trouvé injustifiées les attaques portées contre lui, plus j'ai trouvé cette instruction bien faite, avec en plus, parfois, la marque des interrogations qui étaient les siennes. Or, je vous le rappelle, avoir des interrogations, c'est s'interroger, et s'interroger, c'est la première expression du doute".

 

Dès 2006, dans le vent médiatique qui mettait les acquittés, les "victimes" d'Outreau pour le grand public, sur un piédestal, Mme Fontaine poursuit: "

 

"Je veux ici rappeler qu'il y a des enfants dont, à ma connaissance, personne n'a pu sérieusement nier qu'ils aient été victimes de graves agressions sexuelles.

Le verdict judiciaire aujourd'hui définitif a donné raison à ceux qui protestaient de leur innocence, et les auditions devant votre commission leur ont permis d'exprimer très dignement leur souffrance, leur incompréhension et leur colère.

Mais ni ce verdict, ni le gâchis humain dont les acquittés vous ont fait part ne doivent effacer l'existence de ces victimes dont plus personne ne parle, et qui, elles, ne recevront pas d'excuses politiques publiques. Il ne faut pas que ces deux décisions définitives de cours d'assises soient utilisées pour jeter l'opprobre sur ce qu'on a sacralisé en qualifiant de « parole de l'enfant Â». Trop longtemps les dires de l'enfant ont été négligés, avant d'être certainement trop exploités, mal exploités ou acceptés tels quels. II ne faut pas que cette affaire soit un prétexte pour les bafouer à nouveau, et repartir vingt ans en arrière, au lieu de mettre en place les moyens nécessaires pour recueillir au mieux les déclarations des mineurs. Car personne ne détient la "parole de vérité", ni les enfants, ni les médias, ni le ministère public"

 

Sur le traitement médiatique de l'affaire et les attaques contre le juge Burgaud: "Les médias ont traqué un homme, Fabrice Burgaud, ont jeté son nom et son image - mais aussi le nom de sa famille - en pâture à ceux de leurs clients qui sont assoiffés de sang, de télé-réalité et de vengeance contre des juges décrits comme arrogants et pleins de mépris (...) Je m'interroge sur le suivi médiatique et le déchaînement quotidien qui ont entouré les débats devant la cour d'assises de Saint-Omer. Je me demande si vraiment la sérénité des jurés, citoyens français, a pu être assurée"

 

Et sur la présence d'Yves Bot, procureur général de Paris, qui vient s'excuser auprès des futurs acquittés au cours d'une mini conférence de presse, alors que les jurés avaient à peine quitté la salle:

"Ce doute sur l'absence de sérénité des jurés est chez moi encore plus fort, en raison de ce qui s'est passé dans l'enceinte de la cour d'assises de Paris : car enfin, a-t-on vu quelqu'un s'élever contre la présence, dans la salle d'audience, avant même que les débats ne soient clos et que les jurés ne se retirent, d'un magistrat du parquet, venu faire une conférence de presse, pour attester de l'innocence des accusés, affirmer sa conviction et présenter des excuses ?"

 

Sur les propos des enfants, et leur évaluation. Sur ces détails qu'on leur a reprochés d'avoir oublié, 5 ans après les faits...

"Les témoignages apportés par les enfants dans ce dossier ont également été considérés par certains comme n'étant pas fiables, pas crédibles, parce qu'il leur arrivait de mélanger des scènes, de déclarer présentes des personnes qui ne pouvaient l'être, voire de déclarer victimes de certains adultes d'autres enfants qui ne prétendaient pas avoir été victimes de ces mêmes adultes. Mais imaginez un peu ce qui pouvait se passer dans la tête de ces enfants, que quelqu'un parmi vous a osé qualifier de "pervers", les considérant ainsi quasiment comme des coupables à l'origine de leurs sévices et ne pouvant être crus.

Ces enfants, dès leur plus jeune âge, ont été déscolarisés, désocialisés, ont vécu dans un milieu abandonnique, ont été traités « pire que des chiens Â», ont été utilisés comme des objets pornographiques par leurs parents ou par d'autres adultes. Croyez-vous vraiment qu'on puisse leur reprocher de ne pas se souvenir dans le détail de ceux qui étaient présents ou absents pour chacune de ces "séances" ? Et puis, quand un enfant de quatre ans se fait sodomiser au point que le sang coule de son anus, croyez-vous vraiment qu'il note avec précision lequel de ses frères ou de ses petits voisins est alors violé par un godemiché ou une cuiller ?"

"Et puis, quand un enfant de quatre ans se fait sodomiser au point que le sang coule de son anus, croyez-vous vraiment qu'il note avec précision lequel de ses frères ou de ses petits voisins est alors violé par un godemiché ou une cuiller?"

 

P. Fontaine,

ex magistrate à Douai

 

> Mme C. Montpied (ex membre de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai)

 

Où l'on apprend, par exemple, que les avocats de la défense n'ont pas plaidé lors du procès en appel à paris, tellement tout semblait plié:

"Pour ma part, je cherche encore aujourd'hui, et je n'ai toujours pas la réponse, comment cette affaire, qui pour certains était si simple, et qui vous a d'ailleurs été présentée au début de vos travaux comme un « conte pour enfants Â», a pu devenir une affaire d'État, au point que devant la cour d'assises de Paris les avocats de la défense ont pu prendre le risque de ne pas plaider et que des excuses par voie de conférence de presse ont été présentées par un des plus hauts magistrats de ce pays, et ce avant même que le verdict de la cour d'assises ne soit rendu ? Étions-nous tous si surchargés, incompétents, aveugles et sourds que nous ayons pu collectivement, malgré notre expérience, nous méprendre à ce point et perdre la vigilance élémentaire qui s'attache à notre mission et commettre une erreur grossière, voire une faute lourde, c'est-à-dire celle qu'un non-spécialiste n'aurait pas commise ?"

 

La magistrate explique qu'elle se demande si la commission d'enquête parle bien du même dossier que celui qui est passé sur son bureau.

 

"Je voudrais également m'étonner de ce qu'autant de personnes, et non des moindres, aient pu exprimer autant de certitudes sur cette affaire sans connaître le dossier, non plus que la qualité du travail effectué par ceux qui ont été amenés à le traiter ? À moins que dans ce pays, il soit plus facile de féliciter ou de critiquer des magistrats, plutôt que d'admettre qu'au XXIe siècle des Français de souche puissent vendre leurs enfants pour un paquet de cigarettes, ou pour une bouteille de pastis ? C'était le cas à Angers et à Outreau, mais finalement on a très peu parlé du fond de l'affaire".

 

Elle répond aussi à tous ceux qui ont parlé d'enfants menteurs ou mythomanes, de dossier basé sur rien, de "conte pour enfants": "aujourd'hui comme hier, je n'ai qu'une certitude : celle qu'il ne s'agit ni d'un conte pour enfants, ni de l'histoire d'un enfant fou, d'une mère mythomane et d'un jeune juge pétri de certitudes, et encore moins celle d'enfants violés par des martiens ou de petits pervers qui auraient regardé des cassettes porno en cachette.

Au terme de deux procès d'assises, quatre adultes ont été définitivement condamnés à des peines allant de quatre à vingt ans d'emprisonnement pour des faits d'atteintes sexuelles, de viols ; pour avoir favorisé la corruption de mineurs en organisant des réunions comportant des exhibitions sexuelles auxquelles les mineurs participaient ; pour avoir - pour deux d'entre eux - tiré profit ou partagé les produits tirés de la prostitution de certains mineurs ; que le nombre d'enfants victimes de ces agissements est au total de douze, issus d'au moins six familles différentes - c'est-à-dire plus que les deux seules familles des adultes condamnés.".

 

Sur les détentions préventives: "À ce stade de mon développement, je vous demande de vous poser une nouvelle question. Était-ce une erreur grossière que de placer en détention provisoire Thierry Delay qui, alors qu'il a nié les faits tout au long de la procédure, n'a reconnu avoir violé et prostitué des enfants plusieurs fois par semaine que devant la cour d'assises de Saint-Omer ? Je n'ai entendu personne critiquer cette décision, pourtant choquante de mon point de vue, dans le strict respect de la présomption d'innocence (...) Je rappelle qu'aucun des mis en examen n'a, ce qui lui était pourtant possible par le biais d'une requête en nullité (dans un délai de six mois), contesté devant nous sa mise en examen en évoquant l'insuffisance de ces indices.".

 

Sur quelques indices, qui ont étayé le dossier et allaient dans le sens des propos tenus par les enfants:

"Qu'est-ce qu'un indice ? Dans ce dossier, au-delà des déclarations des enfants plaignants et de celles des adultes qui, reconnaissant les faits, confirmaient l'essentiel de leurs dires, il y avait un certain nombre d'éléments matériels qui venaient conforter leurs déclarations. C'est, par exemple la découverte de cassettes pornographiques, de menottes, de forceps, de lubrifiants, dans ce qu'on a appelé le « cabinet de torture Â» de M. Thierry Delay ; le numéro de téléphone de l'un retrouvé dans la mallette de godemichés de M. Thierry Delay ; on a retrouvé chez un autre, au moment de son interpellation, un journal pornographique caché dans un catalogue de jouets ; un changement de physionomie, des explications embarrassées des mis en examen ; des emplois du temps curieux compte tenu des professions ; des remises de dettes ; l'aveu de méthodes éducatives surprenantes, comme celle d'écarter les cuisses d'une jeune fille et de sentir son sexe pour vérifier qu'elle s'était bien lavée ; la description précise d'un lieu par une personne censée n'y être jamais allée ; des témoignages de voisins ou de proches ; l'évocation de signes physiques particuliers distinctifs, ou des préférences sexuelles des uns ou des autres ; la violence extrême et l'alcoolisme de certains, évoqués par leurs proches".

 

On apprend aussi que les auditions filmées des enfants (quand il y en a eu) n'ont même pas été visionnées aux assises de Saint-Omer.

 

Sur Badaoui la mythomane, la magistrate pose de très intéressantes questions aux membres de la commission d'enquête parlementaire:

"On vous a présenté Mme Myriam Badaoui comme une terrible manipulatrice, ou plus simplement comme une menteuse. Vous devrez toutefois vous demander comment elle a pu manipuler ses enfants, à l'origine de leurs dénonciations, alors qu'ils étaient placés.

Vous devrez également vous souvenir qu'elle n'a pas menti quand elle a dénoncé son mari et reconnu qu'elle avait violé des enfants, ni quand elle a mis en cause Aurélie Grenon et David Delplanque, qui ont reconnu leur participation aux faits et ont été condamnés.

Vous devrez vous demander enfin comment elle aurait pu les influencer, alors qu'ils étaient dans des maisons d'arrêts différentes. Elle n'a pas non plus menti quand elle a expliqué qu'un des mis en cause avait tué son chien d'un coup de pied, ce que celui-ci a reconnu ?

Et si Mme Badaoui est mythomane, peut-elle ne l'être qu'un jour sur deux ? Et si c'est une menteuse, pourquoi la croire quand elle innocente plutôt que quand elle dénonce ? Et si elle s'adapte à ce que l'on veut entendre d'elle, ne doit-on pas envisager que ses déclarations puissent être de circonstance ! Ce n'était en tout cas pas facile de faire le tri."

 

Sur la stratégie de combat menée par les avocats de la défense et l'organisation assez originale du procès de Saint-Omer:

"le procès n'a pas toujours été équitable.

J'ai observé un déséquilibre entre le nombre des avocats des accusés - dix-sept - et celui des dix-huit enfants plaignants - deux seulement, ceux des associations n'ayant pas pour objet de les défendre individuellement.

Il faut aussi rappeler que, faute de place pour les accusés dans le box des accusés, on y avait installé les enfants, tandis que les dix-sept accusés et leurs conseils étaient dans la salle d'audience, face à leurs juges.

Par ailleurs, les avocats des accusés se sont organisés en mai 2004, juste avant leur passage en cour d'assises, ils vous l'ont dit, se sont regroupés, et seize d'entre eux, sur dix-sept, ont choisi une « défense collective de rupture Â». De sorte, et ce n'est pas le moindre paradoxe de cette affaire, que tout en reprochant au juge d'instruction d'avoir fait de Mme Badaoui le pivot de ses confrontations, ils en ont fait la " reine à abattre " d'un jeu d'échecs, alors pourtant que ce dossier ne reposait pas sur ses seules accusations. Et parce que la meilleure défense est l'attaque, certains avocats semblent avoir choisi comme stratégie de défense et comme argument de plaidoirie de caricaturer la justice, plutôt que de répondre loyalement aux questions difficiles et délicates que posait ce dossier."

 

Sur la grossièreté des "débats", en fait un véritable cirque digne du café du commerce:

"Doit-on admettre qu'au nom des droits de la défense, dans une enceinte judiciaire, lieu de débat contradictoire mais en principe serein, où il est normal pour les avocats de contester pied à pied mais loyalement les charges qui pèsent sur un accusé, on puisse, quand on est avocat, traiter une de ses consÅ“urs de « salope Â», les enfants de « sale menteur Â» et le juge d'instruction d'« incompétent pétri de certitudes Â» ? J'en passe, car je serais obligée de devenir vulgaire."

 

 

"Et si Mme Badaoui est mythomane, peut-elle ne l'être qu'un jour sur deux ? Et si c'est une menteuse, pourquoi la croire quand elle innocente plutôt que quand elle dénonce ?"

 

C. Montpied,

ex magistrate à Douai

> Mme V. Carré, (ancien substitut du procureur à Boulogne-sur-Mer)

 

Elle est entendue le 9 février 2006.

 

En tant que substitut chargée à l'époque des mineurs, elle retrace le parcours des enfants Delay auprès des services sociaux. Les premières alertes concernant la famille sont apparues dès 1992 et elles n'ont jamais cessé jusqu'au scandale qu'on connaît.


"Les enfants de M. et Mme Delay étaient particulièrement perturbés. Ils étaient suivis dans le cadre de l'assistance éducative depuis 1992. Ils avaient fait l'objet de mesures de placement temporaire. À partir du mois de novembre 2000, ils sont placés dans des familles, et les parents n'exercent plus leur droit de visite et d'hébergement.

Les services sociaux, dès le mois de novembre, informent la Direction de l'enfance et de la famille (DEF) du comportement particulier de deux enfants. L'un, devant les élèves de sa classe, se met des crayons dans le derrière et les fait sentir aux autres enfants. L'autre second fait la même chose avec les doigts.

En décembre, les enfants continuent à parler. Leurs témoignages sont recueillis par les assistantes maternelles, et le parquet est saisi, les enfants ayant notamment révélé des faits d'agression sexuelle de la part de leurs parents et d'autres majeurs.

Les parents n'exercent plus leur droit de visite et d'hébergement. Les enfants sont donc protégés et sont dans les familles d'accueil.

Fin décembre, les parents souhaitent récupérer les enfants pour exercer leur droit de visite et d'hébergement. Le juge des enfants doit alors prendre une ordonnance qui suspend ce droit. Cette ordonnance, datée du 21 décembre 2000, sera d'ailleurs frappée d'appel.

Début janvier 2001, le rapport de la DEF est transmis au commissariat de Boulogne-sur-Mer, afin qu'une enquête soit diligentée sur les faits qui ont été révélés par les enfants".

 

Puis, au fil des auditions, d'autres noms de victimes sont apparues, ainsi que d'autres noms d'adultes accusés d'abus sexuels: "un nombre d'enfants assez important dénonçaient des faits d'agression sexuelle. Les enfants Delay parlaient également d'autres enfants victimes, qu'ils ont d'ailleurs reconnus sur des albums photographiques".

 

Sur la banalité des abus sexuels entre familles, dans ce coin-là du nord de la France, quand on picole et qu'on s'échange les enfants: "lorsque les époux Marécaux sont mis en cause, je suis allée en rendre compte à M. le procureur parce que j'avais conscience que l'affaire prenait une tournure différente. Les faits d'agression sexuelle commis par les parents ou des amis de la famille étaient malheureusement fréquents. Souvent, les parents s'alcoolisent, invitent des familles. Il y a des échanges sexuels entre adultes, on va chercher les enfants et on les mêle à tout cela. Là, nous sortions de ce contexte."

 

Plus loin, elle évoque les raisons de l'inculpation d'Alain Marécaux :"Les enfants, de mémoire, révélaient avoir été victimes d'agressions sexuelles de la part du couple. Je ne me souviens plus s'il s'agissait du couple ou seulement de M. Alain Marécaux, mais je sais que M. Alain Marécaux était mis en cause par les enfants de manière précise".

 

Au sujet du juge Burgaud et de son travail, la magistrate est très claire: "M. Burgaud était à la recherche de la vérité et menait ses investigations en toute objectivité. C'est une personne consciencieuse."

 

"À l'époque, au début du dossier, nous sommes à mille lieues d'imaginer que Mme Badaoui va se rétracter, en mai 2004, devant la cour d'assises de Saint-Omer".

 

> G Lesigne (ex procureur à Boulogne):

 

Il est entendu le 9 février 2006:

 

Alors procureur au tribunal de Boulogne, M. Lesigne explique comment l'enquête concernant des personnes se trouvant hors du cadre familial des Delay a démarré:

"l'information judiciaire a été ouverte, le 21 février 2001, visant le couple parental, mais aussi "tous autres", pour des raisons juridiques. En effet, les enfants, dans leurs déclarations, avaient rappelé qu'un certain nombre d'autres personnes étaient susceptibles d'avoir participé aux ébats sexuels. On retrouvait notamment les noms de David Delplanque, Aurélie Grenon, et aussi de Thierry Dausque. Il s'agissait donc de donner, juridiquement, les moyens au magistrat instructeur de procéder aux investigations qui concernaient d'autres personnes susceptibles d'être mises en cause, non pas nécessairement pour les actes qui étaient reprochés aux parents, mais pour d'autres faits qui pouvaient y être associés".

 

C'est ainsi que le couple Grenon - Delplanque se retrouve concerné par l'enquête, et "les indications fournies par les intéressés, venant corroborer les aveux de Mme Badaoui  (...), constituent un ensemble d'éléments qui crédibilisent les propos des enfants"

 

Au sujet du recueil de la parole des enfants, et des attaques qui ont été lancées contre eux parce qu'ils mélangeaient certains détails, le procureur lesigne explique que "Concernant les enfants Delay, on a souvent critiqué les incohérences ou les contradictions qui pouvaient se manifestent dans leurs déclarations. Mais une conclusion s'imposait avec évidence, à savoir qu'ils mettaient en cause un certain nombre de personnes de façon à peu près constante, et dans des circonstances qui apparaissaient recevables.

Pourquoi apparaissaient-elles recevables ? Tout d'abord parce que les contradictions dans les propos de mineurs ne sauraient en aucun cas autoriser que l'on écarte d'un revers de main leurs indications. Souvent, on constate que les mineurs ne sont pas rigoureusement constants dans leurs dépositions. Ils se reprennent, ils hésitent, ils sont amenés à les renouveler alors que, quelques semaines auparavant, ils avaient été amenés à les rétracter. Le recueil de la parole de jeunes enfants s'avère infiniment plus difficile, et ne peut pas répondre aux critères qui sont habituellement retenus dans les dépositions des adultes".

 

Il explique aussi pourquoi les propos des enfants ont été estimés assez détaillés pour qu'on les prenne au sérieux:

" Ces variations apparues dans les propos des enfants Delay n'étaient donc pas forcément rédhibitoires et ne permettaient pas de les écarter de façon systématique. Surtout qu'ils apparaissaient, sur bien des points, nuancés. Les mineurs n'accusaient pas globalement des mêmes actes l'ensemble des personnes qu'ils mettaient en cause. Ils adoptaient au contraire une position très modérée à l'égard de quelques-uns d'entre eux, et beaucoup plus vigoureuse à l'égard d'autres. Par exemple, un enfant, le 4 juillet 2001, dit que M. Pierre Martel a juste caressé le ventre de son frère. Le 17 juillet 2001, un autre enfant indique que Mme Odile Marécaux se contentait de filmer. Le 22 novembre 2001, il précise qu'elle n'était pas méchante. Le 4 juillet 2001, un enfant dit que "Dominique", c'est-à-dire l'abbé Wiel, "nous caressait et nous filmait en présence de mes parents". La nuance des accusations est aussi l'un des critères retenus pour juger de la fiabilité des propos des mineurs.

Ces accusations étaient également accompagnées d'un certain nombre de détails. Je sais que ce propos peut être discuté et manifeste une certaine subjectivité. Il reste que, par exemple, un enfant disait, le 29 mars 2001 : "La boulangère, elle utilisait des godemichés. C'était un sexe en plastique. Je sais qu'il y avait du noir", un autre donnait des indications concernant la localisation de la chambre à coucher de M. Alain Marécaux. Ces détails faisaient vrai".

 

Et clairement: on se demande comment un gamin de 6 ou 7 ans peut décrire la chambre à coucher d'une personne qu'il ne connaît pas et chez qui il n'est jamais allé.

 

Et quand le curé Wiel, l'un des acquittés, écrit noir sur blanc que els enfants delay sont des menteurs, qu'ils ont tout inventé et que leurs parents sont innocents, on devrait relire ce passage de la déclaration de M. Lesigne: "Les expertises médicales, quant à elles, faisaient apparaître que les mineurs Delay présentaient des signes cliniques qui posaient question. La première expertise faisait apparaître que, pour deux des mineurs concernés, un toucher rectal révélait une complaisance compatible avec l'existence d'abus sexuels. Ces expertises revêtaient une importance considérable. En effet, ces mineurs avaient été retirés à la garde de leur famille depuis une longue période. Compte tenu des temps de cicatrisation, qui sont très brefs chez les jeunes enfants, il apparaissait qu'ils avaient plausiblement été victimes d'abus sexuels très importants".

 

Un peu plus tard dans son audition, il donne un exemple qui explique pourquoi Dominique Wiel s'est retrouvé aux assises: "Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur les propos tenus par deux des mineurs de la Tour du Renard. Les déclarations de l'un d'eux s'avéraient extrêmement précises, et ont été renouvelées jusque devant la cour d'assises de Saint-Omer. Il disait, le 24 septembre 2001 - c'est la cote D681 - de M. l'abbé Wiel : "Il a mis un objet en plastique dans mon derrière après avoir abaissé mon pantalon et mon slip. Il en a fait de même à l'égard de Y et de Z." Il ajoutait, en parlant du couple Delay : "Madame nous violait. Elle mettait des objets dans notre derrière. Son mari filmait". Ses propos n'étaient pas ambigus. Ils étaient tenus par un enfant qui avait été déclaré crédible par l'expert psychologue qui l'avait examiné.

De même, les propos d'un enfant, qui présentaient peut-être encore beaucoup plus de caractéristiques de sincérité. Le 15 octobre 2001, il parlait en ces termes de M. Delay : « Il était très méchant. Il mettait son zizi dans la bouche et le derrière des enfants. C'était dégoûtant. Il a mis son zizi dans ma bouche, sans faire pipi. Puis, il l'a mis dans mon derrière, et ça m'a fait très mal. J'ai été ensuite obligé de mettre mon sexe dans la bouche des enfants. Â» Il décrivait cette scène avec beaucoup de détails, qui semblaient être vécus. Le 16 mai 2002, il renouvelle ses accusations contre M. Delay, mais il accuse aussi M. l'abbé Wiel : « Il m'a poussé dans le lit. Il a menacé de me frapper. Je me suis déshabillé. Il s'est mis tout nu, pareil que moi. Il avait un petit bout rouge au bout du zizi. Il a voulu me le faire manger. J'ai dit non. C'était dégoûtant. J'ai pensé que c'était du poison. Â»

Ces propos sont donc très circonstanciés, et apparaissent frappés du sceau d'une certaine sincérité. Ils sont le fait, encore une fois, d'enfants qui ne sont pas taxés d'affabulation par les experts qui ont été amenés à les examiner.".

 

Et le procureur Lesigne de préciser que les enfants ont porté des accusations précises contre les personnes qui ont été renvoyées au tribunal, dont certains acquittés:

"Les déclarations des enfants concernant les époux Lavier, ce sont essentiellement celles d'Estelle. Cette enfant décrit de façon précise les actes qu'elle avait à subir au sein du milieu familial. Ses propos sont indirectement corroborés par un témoin. Ce témoin dira - la pièce se trouve à la cote D2199 : "Franck Lavier s'est approchée d'elle en me tournant le dos. Il a baissé son pantalon à environ un mètre de la petite et il lui a dit : " suce-moi la bite ". J'ai dit à Sandrine, qui était en train de rigoler : " Je m'en vais, si c'est pour voir cela "."

De même, Pascal, l'enfant d'un autre acquitté, dit que son papa, c'est son amour, qu'il partage son lit et que son père a des attitudes impudiques. Cela est crédibilisé par son cousin et par un enfant : "il faisait des trucs malhonnêtes. Il se caressait le sexe en me disant " Tiens, suce-le ! ". Il lui est arrivé de s'allonger sur une barrière, à même la rue, pour se frotter contre elle, comme s'il faisait l'amour. "

Quant à Marc, il a dénoncé les comportements de son père, et a maintenu ses accusations jusque devant la cour d'assises de Saint-Omer. En ce qui concerne l'éventuelle connaissance que son père pouvait avoir de la Tour du Renard, il affirme qu'il reconnaît Thierry Dausque comme ayant participé à un repas au domicile des Marécaux. Il ajoute ce détail important : "Il se faisait appeler Y". Y, c'est le prénom du fils de Thierry Dausque. Ses indications viennent conforter celle évoquant une visite de Mme Lavier au domicile des Marécaux.

Il y a aussi les indications fournies par les adultes qui ont reconnu les faits. Je sais bien que les propos de Mme Badaoui sont aujourd'hui taxés de fantaisistes. Mais il ne faut pas oublier que ses indications n'allaient pas toujours dans le sens de l'accusation maximale. Parfois même, elles s'inscrivaient en retrait. De plus, elle proférait souvent des accusations à la suite de celles des enfants. Elle ne prenait pas l'initiative des accusations".

 

Quant aux accusations selon lesquelles tout le dossier était basé sur les paroles d'une mythomanes et "d'enfants fous", M. lesigne rappelle que "ce n'est pas le personnage de Mme Badaoui qui apparaît comme étant le plus important dans ce dossier. Le personnage le plus important, parmi les adultes qui reconnaissaient leur culpabilité, c'est Aurélie Grenon".

 

Puis, au sujet de Daniel legrand qui s'accuse d'avoir été présent lors du meurtre d'une petite fille: "Lorsqu'il dit qu'il s'est accusé du meurtre d'une fillette dans le but de décrédibiliser l'affaire, le propos semble un peu convenu. Il était extrêmement naïf. Il demandait au magistrat instructeur d'organiser une expertise tendant à vérifier sa virginité. Lorsqu'il passe ses premiers aveux, le 19 décembre 2001 - c'est à la cote D989 -, il dit : « Je voudrais revenir sur mes propos et dire la vérité, pour ne pas prendre pour les autres. Je préfère, pour ma part, ne pas prendre pour les autres. Â» Ce sont là des propos qui semblent assez spontanés. Dans les lettres qu'il adresse au magistrat instructeur, ses indications semblent être frappées du sceau de la sincérité et de la vérité. Dans sa lettre du 13 décembre 2001, il ne parle pas de faits qui sont susceptibles de lui être reprochés sur les enfants. Il se dénonce pour des gestes sexuels commis sur Aurélie Grenon, qui est une personne majeure et consentante.

Lorsqu'il se rétracte, au milieu d'un interrogatoire, il le fait de manière relativement brusque, après s'être entretenu quelques instants avec son avocat, et après avoir tenu des propos incohérents".

 

On comprend donc que la rétractation de Legrand à ce sujet a été une stratégie de son avocat. Et on se souvient que les avocats de la défense avaient élaboré une "stratégie de rupture" commune.

 

M. Lesigne évoque ensuite le cas Franck Lavier, qui le laisse perplexe puisque la vérité judiciaire l'a acquitté. Le procureur explique: " Franck Lavier a été pour moi une énigme. Jusqu'à ces derniers jours, je n'avais pas découvert la clé de ce qui avait pu l'amener à faire un certain nombre de déclarations dans le cabinet du magistrat instructeur. Il dénonce, de manière circonstanciée, des actes tout à fait insoutenables. Le 17 août, à la cote D538, en page 2, il indique qu'il est monté au domicile de M. Delay et qu'il a assisté à la scène suivante : "J'ai regardé Aurélie en train de se toucher avec Myriam. C'était dégueulasse." Mais il y a pire : M. Delay "était le premier à vouloir des partouzes, et tout ce qui s'ensuit. Une fois, j'étais parti pour aller chercher une perceuse chez Thierry Delay. Il sortait de la chambre des enfants. Il se rhabillait. Il y a un des enfants qui pleurait. Et j'ai manqué de vomir, car je savais qu'il venait de sodomiser les enfants. Je vais être franc avec vous. C'est un pédé, il sodomisait les enfants. Et il demandait, rien que pour s'amuser, de faire n'importe quoi aux enfants. Il demandait à faire n'importe quoi sur le sexe, tout ce qui est jeu pervers sur le sexe. Tout ce qui est possible d'imaginer a été fait. Du style, avec des petits jouets des enfants. Je l'ai vu sodomiser les enfants avec un camion de pompiers, avec la grande échelle. Son enfant saignait du postérieur. "

Le 7 novembre 2001 - le procès-verbal figure à la cote D711 -, il dit ceci, en page 3 : "Tout ce que j'ai vu, c'est que les enfants sortaient de la chambre, et qu'un enfant avait une tâche de sang derrière la cuisse, et également qu'Aurélie Grenon et Myriam Delay faisaient des couples ensemble. Cela n'a duré qu'une fraction de seconde, et c'était horrible. J'ai refermé la porte et je suis reparti. "

Ces indications sont celles d'une personne qui conteste toute responsabilité dans l'affaire, mais qui sont extrêmement circonstanciées, et que je n'arrivais pas à m'expliquer jusqu'à il y a peu".

 

Puis, Gérald Lesigne conclut, au grand soulagement des membres de la commission d'enquête, en disant qu'il est "profondément convaincu de l'innocence de toutes ces personnes".

 

 

"Les mineurs n'accusaient pas globalement des mêmes actes l'ensemble des personnes qu'ils mettaient en cause. Ils adoptaient au contraire une position très modérée à l'égard de quelques-uns d'entre eux, et beaucoup plus vigoureuse à l'égard d'autres".

 

G. Lesigne,

Procureur à Boulogne-sur-Mer

> J Rubantel, (ex juge des libertés à Boulogne)

 

Elle est entendue le 21 février 2006:

 

Elle explique pourquoi la plupart des demandes de mise en liberté sollicitées par les accusés ont été rejetée. "Le dossier n'était pas un dossier vide. Il ne justifiait pas que des condamnations, puisque des personnes ont été acquittées et d'autres condamnées, mais il n'en demeure pas moins que, au moment où nous étions amenés à statuer, il y avait des éléments sur lesquels on devait s'interroger.

Il y avait des déclarations de l'enfant, parfois changeantes, parfois même contradictoires, ce qui peut recevoir toutes sortes d'explications. Ce n'est pas si simple à analyser. Il y avait les aveux d'un certain nombre d'adultes, mais qui n'étaient pas des aveux massifs et sans nuances. Ils donnaient de nombreux détails, de nombreuses explications, certains décrivant même des sensations. L'ensemble de ces éléments méritaient que l'on réfléchisse.

Certains adultes reconnaissaient leur participation à des faits de viols, mettaient en cause d'autres adultes. Mais là aussi, il y avait des questions à se poser. Ces accusations ne permettaient pas à ceux qui les proféraient de se dédouaner. Les faits qu'ils imputaient aux autres venaient aggraver leur sort.

Des événements sont également survenus, qui ont créé de nouvelles difficultés dans un dossier qui, au départ, était relativement simple. Je ne vais pas reprendre le terme de "banal", car je crois que le viol d'un enfant n'est pas banal, mais c'était un dossier comme on en voit pas mal d'autres, jusqu'au moment où le nombre d'enfants désignés comme victimes et le nombre de personnes désignées comme auteurs des viols ont augmenté. Dans les détails dont nous disposions, certains éléments se recoupaient. Par exemple, un adulte ayant d'abord nié les faits les a reconnus, en donnant des détails relatifs aux préférences sexuelles qu'il attribuait à un autre mis en examen, détails qui recoupaient d'autres éléments.

Par ailleurs, une difficulté majeure du dossier était le silence absolu de M. Thierry Delay pendant une grande partie de la procédure. C'est une situation assez rare.

Ce dossier, donc, n'était pas aussi vide qu'on l'a dit. Cela ne veut pas dire que ces personnes étaient coupables, et elles ont d'ailleurs été reconnues innocentes. Cela veut dire que la justice était en devoir de rechercher une vérité. Le fait qu'il ait fallu deux procès d'assises pour arriver à démêler progressivement ce dossier démontre bien que la situation n'était pas aussi simple que cela. Il serait peu honnête de dire que le dossier était vide.

Dans les dossiers de viols ou d'agressions sexuelles sur des mineurs, la première des difficultés est que l'enfant est forcément vulnérable à des pressions qui pourraient être exercées soit par des membres de sa famille, soit par des membres de son entourage".

 

> D. Beauvais (ancien président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai)

 

Il est entendu le 22 février 2006:

 

Le magistrat explique pourquoi les accusations des enfants Delay ont été prises au sérieux: "Les enfants Delay avaient fait des déclarations qui, au moment où nous avons étudié le dossier, nous sont apparues cohérentes et convergentes alors qu'ils étaient placés dans des familles d'accueil différentes, déclarations qui ont été réitérées à différents moments de la procédure : devant leurs assistantes maternelles respectives, dont rien ne démontrait à l'époque qu'elles se soient concertées, devant les enquêteurs de police ensuite, devant les experts qui les ont examinés et devant le juge d'instruction.

Dès leurs premières déclarations, en décembre 2000, il est apparu que d'autres personnes que leurs parents leur avaient imposé des sévices sexuels, moyennant le paiement de sommes d'argent, dans le cadre de scènes collectives qui étaient filmées.

Les imprécisions parfois notées dans la relation des faits et l'identification des victimes et auteurs présumés de ces faits pouvaient s'expliquer, car les faits dénoncés étaient nombreux, répétés dans le temps, commis en groupe et mettaient en cause plusieurs personnes qui n'étaient pas toujours les mêmes, et les enfants Delay étaient très jeunes".


Quant aux expertises qui ont estimé, à la demande du juge, que les enfants étaient crédibles, M. Beauvais précise que "tous les enfants ont été déclarés, par les experts qui les ont examinés, exempts de tendances à la mythomanie et à l'affabulation. Dans leur rapport d'expertise, M. Viaux et Mme Gryson-Dejehansart expliquent avec une grande précision pourquoi ils estiment les propos des enfants vraisemblables - et je vous rappelle que nous sommes dans le régime du "vraisemblable" - et disent les enfants "aptes à distinguer le vrai du faux". Si, ensuite, aux assises, les experts et les enfants ont changé d'avis, nous n'en sommes pas responsables".

 

Le magistrat explique encore longuement pourquoi les propos des enfants étaient suffisamment consistants pour que la procédure suive son cours, malgré les acquittements qu'on a connus en appel. Ainsi, les dires des enfants ont été confirmés par d'autres éléments, que le magistrat détaille:

"Les enfants ont donc été déclarés par les experts exempts de toute mythomanie, et leurs déclarations ont été confirmées de manière précise par les adultes qui ont reconnu les faits, à savoir Myriam Badaoui, Aurélie Grenon, David Delplanque, et Daniel Legrand fils avant qu'il ne se rétracte, sans qu'ils aient pu se concerter puisqu'ils étaient pour trois d'entre eux détenus dans des maisons d'arrêt différentes et qu'Aurélie Grenon était en liberté sous contrôle judiciaire. Les dires de ces adultes ont également été déclarés exempts d'affabulation ou de mythomanie.

Les déclarations des enfants ont aussi été confirmées par certains éléments matériels qui, par recoupements, leur ont donné crédit et vraisemblance. Il est en ainsi de la description de la maison des époux Marécaux par un enfant, de la découverte d'une revue pour adulte chez l'huissier, ce qui correspondait aux propos d'un enfant, de même que de la découverte chez les époux Delay de cassettes pornographiques, dont certaines mettaient en scène des animaux et aussi des femmes enceintes - ce que les enfants avaient dit -, ainsi que de photos des ébats sexuels des époux Delay, dont l'une montre que l'un de leurs enfants, comme il l'avait affirmé, était présent. Tous ces éléments correspondaient aux déclarations des enfants. Puisqu'ils semblaient dire la vérité pour ce qui concernait leurs parents, il n'y avait pas de raison particulière de penser qu'ils affabulaient pour les autres personnes.

Les éléments médico-légaux ont également conforté les propos des enfants Delay. Ainsi, le rapport d'expertise Lecomte, Loisel, Mselati précise que l'hypotonie du sphincter anal chez ces enfants était compatible avec leurs déclarations, et que de nombreux épisodes diarrhéiques, ainsi que d'autres précisions assez horribles évoquaient des sévices sexuels commis depuis longtemps.

Les pièces du dossier montrent que c'est lorsqu'ils se sont sentis protégés par la justice, à la suite de l'intervention du juge des enfants, mais aussi de celle du juge d'instruction, qui a placé les époux Delay en détention provisoire, que leurs enfants ont pu mettre en cause, par une parole "libérée", les personnes extérieures au groupe familial".

 

Les avocats de la défense n'ont pas cessé de dénoncer la procédure, pourtant D. Beauvais explique que :"aucun des avocats des mis en examen qui niaient les faits n'a présenté de requête en nullité de la mise en examen, comme l'article 80-1 du code de procédure pénale leur en offrait la possibilité, pour contester les « indices graves ou concordants rendant vraisemblable leur participation aux faits Â» dont le juge d'instruction était saisi. Cela aurait permis à la chambre de l'instruction de porter sur ces indices un regard spécifique et, éventuellement de redonner à ces personnes le statut de témoin assisté. Cela n'a jamais été fait, et nous le regrettons."

"Dès leurs premières déclarations, en décembre 2000, il est apparu que d'autres personnes que leurs parents leur avaient imposé des sévices sexuels, moyennant le paiement de sommes d'argent, dans le cadre de scènes collectives qui étaient filmées".

 

 

D. Beauvais

ex président de la chambre d'instruction à Douai

> S. Mariette (membre de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai):

 

Elle est entendue le 22 février 2006:

 

La magistrate évoque l' "emballement médiatique" qui a perturbé gravement la procédure: "Outreau, c'est aussi un emballement médiatique à tous les stades de la procédure, qui fait perdre à chacun ses repères et sa place dans le débat judiciaire. Dès le mois de novembre 2001, la presse locale puis nationale raconte l'enfer des victimes de la Tour du Renard et livre à la vindicte populaire les noms des personnes mises en cause, allant jusqu'à filmer leur maison, jusqu'à rappeler leur profession.

Le summum est atteint en janvier 2002, lorsque Daniel Legrand fils adresse, avant même d'en saisir le juge d'instruction, une lettre à la direction de France 3 Nord, dans laquelle il affirme avoir assisté au viol et au meurtre d'une fillette dans l'appartement du couple Delay-Badaoui. C'est alors l'embrasement, avant même que juge l'ait entendu et ait pu vérifier ses déclarations. Des journalistes tentent d'escalader les murs du palais de justice de Boulogne-sur-Mer pour surprendre le juge dans son bureau en train d'interroger Daniel Legrand fils. Toute la presse, sérieuse ou à scandales, se déchaîne. Qui parle alors de la "cité de la Honte", d'un vaste réseau de pédophiles ?

J'aurais aimé que les journalistes qui n'ont pas de mots assez durs aujourd'hui pour dénoncer la "catastrophe d'Outreau" condamnent à l'époque les pratiques de certains organes de presse, écrite, parlée ou télévisée. Les mêmes qui n'ont pas hésité à innocenter médiatiquement, avant le verdict de Paris, les acquittés d'Outreau, sont les mêmes qui avaient condamné médiatiquement les monstres d'Outreau, avant le procès de Saint-Omer.

Et le délire médiatique s'est poursuivi jusqu'à la cour d'assises de Paris où l'on a vu le procureur général de la cour d'appel de Paris organiser une conférence de presse pour présenter des excuses publiques, alors que les juges n'avaient pas encore délibéré. Quel mépris pour la décision de la cour d'assises ! Mais il est vrai que cette décision n'avait sans doute pas beaucoup d'importance, puisque les journalistes avaient médiatiquement acquitté ceux qu'ils avaient auparavant condamnés".

 

La magistrate s'interroge également sur l'ampleur qu'a pris l'affaire d'Outreau, notamment au niveau de la mise en cause des détentions provisoires, alors que bien d'autres affaires similaires n'ont pas suscité un tel emballement. Et quelque part, il est vrai qu'on se demande pourquoi le juge Burgaud a été à ce point mis au pilori, d'autant qu'au niveau de la procédure il n'a pas commis de "faute".

 

> M-C Gryson-Dejehensart (psychologue qui a expertisé 11 enfants d'Outreau):

 

Elle est entendue en même temps que son collègue Michel Emrizé le 23 février 2006:

 

Alors que certains avocats de la défense ont violemment attaqué ses méthodes, Mme Gryson Dejehensart explique de manière détaillée comment elle réalise ses expertises, très codifiées.

 

Elle explique comment s'est déroulée son audition au tribunal: "Comme vous le savez, je n'ai pu présenter complètement mes expertises à la cour d'assises, mais seulement les quatre menées en dualité avec M. Jean-Luc Viaux. Je n'avais jamais vu une configuration spatiale aussi aberrante. Les enfants et les parties civiles étaient dans le box des accusés. Toute la salle était occupée par les journalistes, les avocats et les personnes prévenues. À la barre, on avait à peine la place de tendre le bras. J'étais entourée d'avocats, je n'avais aucun espace, aucune distance, ni spatiale ni psychologique. Et lorsque nous avons déposé la première fois avec M. Jean-Luc Viaux, cela a été extrêmement pénible et éprouvant. On nous a accusés, avec des hurlements d'indignation, d'être coupables de l'incarcération d'innocents, coupables du suicide d'un innocent. Toutes nos expertises ont été dénigrées, moquées par un auditoire qui était dans un fonctionnement systémique, traitant en intrus tous ceux qui venaient de l'extérieur par rapport à ceux qui, depuis deux mois, partageaient toutes leurs émotions et même leurs repas".

 

Et de dénoncer l'omniprésence médiatique de la défense: "pendant deux ans, 95 % des articles de presse ou des émissions n'ont vu qu'une partie de l'affaire, et pour cause ! Les magistrats, les experts étaient tenus à une obligation de réserve, et les enfants ne pouvaient pas venir pleurer devant les caméras. Et d'ailleurs, les enfants ont complètement disparu aujourd'hui de l'affaire d'Outreau".

 

Plus loin, la psychologue explique: "Sept enfants sur dix que j'ai en thérapie n'ont pas bénéficié d'une reconnaissance judiciaire. Je respecte la vérité judiciaire, mais j'ai sept enfants sur dix en thérapie qui n'ont pas été reconnus comme victimes parce qu'il y a eu non-lieu ou acquittement".

> Y Jannier (avocat général à la cour d'Appel de Paris):

 

Il est entendu le 28 février 2006:

 

Le magistrat, intervenu lors du procès en appel, explique que ce procès était très particulier car les personnes acquittées en première instance ne comparaissaient pas, si bien qu'on ne pouvait plus aborder les faits pour lesquels ils avaient été acquittés. Seul les faits concernant les six personnes condamnées en première instance devaient en principe être abordés:

"La première particularité de notre approche tenait d'abord à la saisine elle-même : nous n'étions, en effet, saisis que sur le seul appel de ces six personnes, sans appel ni principal ni incident du ministère public à l'égard d'une quelconque des sept personnes initialement poursuivies et acquittées à l'issue de la première audience. Pour cette raison, les faits pour lesquels certains des condamnés avaient été partiellement acquittés n'étaient pas remis en cause. Nous n'étions donc saisis que d'une partie des faits qui leur étaient initialement reprochés, et nous n'étions saisis que de faits commis à l'égard de neuf mineurs victimes, alors qu'il y en avait dix-sept lors du premier procès.

Notre approche était forcément difficile, parce qu'il nous fallait extraire de ce dossier ce dont nous étions saisis, sans remettre en cause de quelque façon que ce soit, évidemment, la première décision".

 

On comprend donc que le procès en appel n'avait pas pour but de revoir tout le dossier de A à Z. Seule une petite partie des faits a été abordée, et on 'na tenu compte que de 9 victimes. Comment les jurés auraient-ils pu avoir une vision fidèle de la procédure dans ces conditions?

 

M Janier évoque ensuite la grande affaire lancée dans la presse juste avant le procès en appel: quand Roselyne Godard, la boulangère, s'est répandue dans la presse en expliquant qu'on avait confondu un "Dany le grand" avec Daniel Legrand. Elle avait alors orienté les soupçons vers un autre "Dany" qui est à l'époque passé par Outreau, dans le suel but d'éloigner les soupçons de Daniel Legrand. En effet, l'un des enfants victimes a fait une liste de ses abuseurs, dans laquelle il avait fait écrire "Dany le grand". A ce sujet, le magistrat explique:

"L'audiencement initialement prévu au début du mois de mai 2005 a été repoussé car la très forte médiatisation de cette affaire n'avait pas disparu ni même diminué, et un certain nombre de journalistes avaient repris dans des articles ce qu'ils appelaient la "piste oubliée", c'est-à-dire la suspicion d'avoir oublié un certain nombre de personnes, ou d'avoir confondu des personnes avec d'autres, notamment en ce qui concernait Daniel Legrand, puisqu'une liste établie par un des enfants Delay faisait état d'un "Dany le Grand" en Belgique. Tout cela a nécessité un supplément d'information et l'audience s'est finalement tenue en novembre 2005 après que cette piste, dont j'indique tout de suite que pour nous elle n'était pas une piste oubliée, mais une piste inexistante, a été vérifiée. Mme Godard, entendue à ce sujet, a d'ailleurs reconnu qu'elle avait eu le sentiment d'avoir été manipulée par la presse et d'avoir donné un certain nombre d'informations parce qu'elle pensait qu'il avait pu se passer quelque chose, et M. Dany Comporini s'est malheureusement retrouvé de façon inconsidérée sous le feu des médias alors qu'il n'avait rien à voir avec cette affaire, si ce n'est d'avoir été un temps le compagnon d'une jeune fille qui habitait l'immeuble".

 

Puis, M Janier donne son avis sur la parole des enfants, prenant le contre-pied des experts: "La parole de l'enfant a peut-être été prise comme un élément probant, alors qu'elle était tout au plus un élément d'information. On est parti, on est resté, dans ce dossier, sur deux idées erronées : l'idée qu'un enfant ne peut pas mentir, et l'idée qu'un enfant, s'il n'a pas vécu de telles choses, ne peut pas les relater". Ses conclusions vont totalement à l'encontre des études de victimologie citées par les experts, mais il s'agit, au vu des acquittements, de la seule conclusion juridiquement acceptable.

 

M janier explique que pour lui "le dossier apparaissait, au moment où je requérais, comme "un millefeuilles de petites erreurs, de dysfonctionnements ou d'inattentions"."

 

> Mme B. Roussel (de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai):

 

Elle est entendue le 28 février 2006:

 

Mme Roussel a eu à prendre des décisions sur les demandes de mise en liberté de quatre accusés.

"Quoi qu'en disent certains médias, les charges qui pesaient, en avril 2002, sur les mis en examen étaient réelles et sérieuses. L'hypothèse d'un réseau local de pédophilie, à l'image de celui démantelé à Angers, à peu près à la même époque et dans des conditions analogues, restait solide. Elle était corroborée par un nombre non négligeable de témoignages de victimes, de déclarations de mis en examen et de conclusions d'experts".

 

> S. Karras (ex conseillère à la chambre de l'instruction
de la cour d'appel de Douai):

 

Elle est entendue le même jour, 28 février 2006:

 

Cette magistrate, comme la plupart de ses confrères, rappelle que les inculpations des futurs acquittés n'étaient pas fondées sur rien: "L'interpellation des acquittés n'a pas été le fruit du hasard, le placement en garde à vue des acquittés n'a pas été le fruit de l'arbitraire d'un homme", et elle rappelle encore que "Dans cette affaire, soixante magistrats siégeant à la chambre de l'instruction ont eu à prendre des décisions".

 

 

> J-C Monier (président de la cour d'assises de première instance de Saint-Omer):

 

Il est entendu le 1er mars 2006:

 

Le magistrat, qui a dirigé les débats à Saint-Omer, estime que l'instruction menée par le juge Burgaud était normale: "je n'ai absolument rien trouvé d'anormal à la manière dont l'instruction avait été conduite". Il regrette que l'instruction ait été menée trop rapidement, mais c'était obligatoire puisque beaucoup de prévenus étaient en détention préventive et que la durée de la détention rpéventive doit être limitée.

 

Il explique ensuite que presque tous les accusés ont varié dans leurs déclarations, mais que "la rétractation de Mme Myriam Badaoui a eu, pour la presse, un effet considérable et le procès a fait l'objet à partir de ce moment-là d'une couverture médiatique très importante. La presse s'interrogeait et elle a eu l'intuition que parmi les accusés il pouvait y avoir des innocents, peut-être en nombre. La tension va monter d'un cran, et même de plusieurs".

 

En gros, les médias se sont focalisés sur cette rétractation de Badaoui pour jeter le bébé avec l'eau du bain, comme on dit: si elle se rétracte, il ne s'est en réalité rien passé et les accusés sont innocents.

 

M. Monier raconte ensuite dans quel climat les enfants sont venus témoigner lors du procès: "Ils sont arrivés dans une audience particulièrement tendue, une véritable fournaise, un véritable chaudron. Certains, les enfants Delay particulièrement, ont pu donner l'impression d'être à peu près à l'aise, mais les autres étaient très intimidés, très apeurés, et ils se sont très vite bloqués". Ajoutons qu'en plus, les enfants ont témoigné, comme on le sait, depuis le box des accusés, face à une salle où les accusés et les journalistes étaient côte-à-côte.

 

 

> Mme O. Mondineu-Hederer, présidente de la cour d'assises de Paris:

 

Elle est entendue le 1er mars 2006:

 

La magistrate explique comment se sont produites les excuses de l'avocat général Yves Bot, en pleine salle d'audience, avant que les jurés n'aient rendu leur verdict:

"Nous nous sommes retirés dans la salle des délibérés et, comme à l'habitude, nous avons discuté avec les jurés et avec les assesseurs. Chacun est reparti. Lorsque j'ai voulu entrer dans la salle d'audience pour rassembler mes affaires, j'ai été surprise d'y trouver le procureur général et la presse. Je ne suis donc pas rentrée dans la salle d'audience, j'étais simplement obnubilée par le fait qu'il soit en robe ou pas...

Je suis rentrée dans mon bureau, j'étais abasourdie. J'ai téléphoné quelques instants après à Yves Jannier, et je lui ai dit mon mécontentement. C'est le président qui dirige les débats en salle d'audience et qui en est maître, et l'accusation n'a pas à se l'approprier.

 

Je me doutais de ce qui avait été dit. Le lendemain matin, je suis revenue et les jurés aussi. Ils étaient extrêmement troublés par ce qu'ils avaient vu au "20 heures". Ils se sont demandé s'ils étaient encore nécessaires. J'ai dû les réconforter en leur rappelant que la décision était entre nos mains et entre nos mains seulement, qu'ils devaient assumer pleinement et jusqu'au bout leurs fonctions, et ils l'ont fait dans la plus grande sérénité. Ils ont rendu un verdict en toute indépendance, même après avoir vu le "20 heures". Je crois qu'en conscience rien n'aurait été changé".

 

 

 

> Mme C. Pouvelle-Condamin, psychologue:

 

Elle est entendue le 7 mars 2006 en même temps que quatre autres experts.

 

Experte auprès de la cour d'appel de Douai depuis 1992, elle a vu deux des enfants de l'affaire Outreau. Chez les deux, dont une fillette de 4 ans, elle a identifié un état de stress traumatique.

 

Mme Pouvelle-Condamin explique que selon elle, "Ces enfants présentaient encore des indices d'une souffrance pouvant être consécutive à un traumatisme de nature affective, mais aussi de nature sexuelle. Les symptômes de stress post-traumatique étaient toutefois en régression".

 

Elle explique que les abus sexuels sont un "sujet tabou, qui provoque l'effroi. Pour l'enfant, c'est un sujet qu'il est encore plus difficile d'aborder, surtout quand il s'agit d'une sexualité déviante et qu'il a été pris pour cible. Il est incapable d'assimiler les gestes sexuels autrement que comme des effractions physiques et psychiques".

 

Elle évoque aussi le fait que l'absence de preuves matérielles dans les cas d'abus sur mineurs entraîne de nombreux non-lieux et acquittements: "Dans des affaires aussi graves que celles-là, il y a de nombreux non-lieux, et de nombreux acquittements sont prononcés au pénal. Ce n'est pas une surprise, étant donné le manque de preuves au sens judiciaire, mais aussi parce que certains avocats de la défense plaident d'une manière de mieux en mieux rodée, de plus en plus efficace. Cela nous pose un certain nombre de problèmes. Ils tentent de discréditer la parole de l'enfant au moyen d'interrogatoires assez musclés, comme on l'a vu dans cette affaire. Ils tentent également de discréditer les experts. Ils disent aussi aux présumés agresseurs de nier ou de se rétracter".

 

La psychologue évoque ensuite certaines stratégies des avocats de la défense:

"Faire rire des experts peut être une manœuvre tactique. Si l'on veut discréditer des experts gênants, on peut dénigrer leur pratique en affirmant qu'elle ne relève pas de sciences exactes. C'est vrai dans un sens. Mais la pratique des psychologues relève néanmoins de sciences universitaires, qui sont objectives et explicitent une partie du vécu intra-psychique.

S'agissant des expertises que j'ai réalisées, le contexte était particulièrement difficile. Dans le procès d'Outreau, certains médias ont opté pour un rejet de toute objectivité, dans un mouvement de balancier préjudiciable, passant de la stigmatisation des « monstres pédophiles Â» en 2001 à un travail sans relâche pour tenter ensuite leur réhabilitation en 2004.

Certains avocats plaident pour leurs clients sans aller au-delà de ce qui est raisonnable, en respectant les mis en cause et les victimes, d'autres sont prêts à utiliser des arguments qui ne sont pas très éthiques.

Dans le procès d'Outreau, les enfants victimes n'ont été défendus que par un avocat. Les mis en cause l'ont été au total par une vingtaine d'avocats. Cela a complètement déséquilibré le rapport de force, et méconnu le principe d'égalité des armes entre les deux parties. Une des dérives d'Outreau a donc été la présence d'un contexte hyper-médiatisé et polémique, qui n'a pas forcément permis aux experts, ni aux autres personnes, de s'exprimer dans un climat de sérénité. Je pense avoir subi une sorte de lynchage médiatique".

 

Mme Pouvelle-Condamin revient ensuite sur "la difficulté de l'expertise dans les affaires d'abus sexuels" et précise que "Un agresseur sexuel, s'il s'agit d'un vrai pervers, a l'art de la dissimulation et de la manipulation. Seule une expertise extrêmement longue peut prendre la mesure de qui est ce pervers (...) Il n'est pas forcément possible de distinguer un pervers, surtout quand il est d'un bon niveau intellectuel".

 

Quant aux enfants, il est aussi très difficile de mener une expertise à leur sujet, car, explique la psychologue, "Ils ont honte, on leur a interdit de parler, ils ne veulent pas dénoncer leurs parents, la sexualité est un sujet tabou".

 

Plus loin, en réponse à une question, elle précise: "Je me souviens d'une petite fille qui avait été violée par son père et qui n'a révélé qu'au procès qu'elle était aussi violée par le voisin. Je l'avais interrogée longuement. Jamais je n'avais pu imaginer qu'elle était violée et par son père et par le voisin. Un train peut en cacher un autre. Un enfant peut aussi refuser de désigner une personne parce qu'il ne veut pas dire que son père l'a également violé. Nous n'avons pas de détecteur de mensonge. Les enfants peuvent en rajouter, ce qui est tout de même très rare, mais bien souvent ils nient avoir été victimes de quoi que ce soit. Ils se sentent coupables".

 

A Outreau, elle estime que les avocats ont été trop loin quand les enfants ont été interrogés: "on ne peut admettre qu'ils le soient comme ils l'ont été par les avocats de la défense lors du procès d'Outreau. Dire à un enfant qui parle des sévices qu'il a vécus : "Tu es un sale menteur !", ce n'est pas humain".

 

Enfin, la psychologue conclut par ce constat terrible que font tous ceux qui cherchent à aider les enfants victimes d'abus sexuels:

"Qu'est-ce qui est crédible et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Le meurtre d'une petite fille est-il crédible ? C'est un fait que des petites filles sont parfois tuées. Il y a tant de choses horribles qu'on ne croyait pas crédibles et qui se sont réellement passées, qu'on en arrive à avoir un doute. Le doute fait partie de la prudence nécessaire dans ce type d'affaire.

Je suis tout à fait d'accord pour dire que dans l'enceinte judiciaire, le doute doit profiter aux mis en cause. Seulement, que fait-on de la sécurité des enfants ? Un père avait sodomisé son bébé de six mois, ce qui a détruit son anus. Les médecins ont posé un anus artificiel. Le père, devant la cour, a nié les faits avec énergie. Il n'a pas pu être condamné, alors que tout concourait à ce qu'il soit le seul auteur possible des faits. La suite de l'histoire, c'est qu'on lui a rendu son bébé, ainsi que ses autres enfants. Puisqu'il n'était pas condamné, il était innocent, et puisqu'il était innocent, il a récupéré toute sa petite famille. Le doute doit profiter, bien sûr, aux mis en cause. Mais dans les affaires de maltraitance à enfants, on ne sait plus trop. On tremble, parfois".

 

 

"L'interpellation des acquittés n'a pas été le fruit du hasard, le placement en garde à vue des acquittés n'a pas été le fruit de l'arbitraire d'un homme"

 


S. Karras,

ex conseiller à la cour d'appel de Douai

"Dans des affaires aussi graves que celles-là, il y a de nombreux non-lieux, et de nombreux acquittements sont prononcés au pénal. Ce n'est pas une surprise, étant donné le manque de preuves au sens judiciaire, mais aussi parce que certains avocats de la défense plaident d'une manière de mieux en mieux rodée, de plus en plus efficace".

 

 

C. Pouvelle-Condamin,

experte psychologue

> J-L Viaux, psychologue, expert:

 

Il est entendu le 7 mars 2006.

 

Avec M-C Gryson-Dejehansart, il a expertisé plusieurs enfants d'Outreau dès le début de l'instruction.Comme sa collègue, il a été viollement attaqué par les avocats de la défense et par les médias lorsqu'il est venu témoigner lors du procès.

 

Il commence par revenir sur certains mensonges qui ont été répétés par les avocats de la défense et par une certaine presse: "Imprimer entre guillemets dans les journaux le terme de crédibilité en prétendant que je l'ai écrit ou prononcé à propos de ces enfants relève de l'amalgame, et parfois de l'intention malveillante".


Il ajoute que "le rapport d'expertise comprend une discussion de plusieurs pages sur chacun des enfants, à partir des informations connues des experts et de l'examen psychologique. Pour chaque enfant, il y a quelques lignes de conclusions qui lui sont particulières.

Affirmer, comme il a été fait ici, que "les quatre expertises des enfants Delay étaient des copiés-collés" est totalement inexact, et je demande à ceux qui doutent qu'il s'agisse là d'une calomnie de bien vouloir lire l'intégralité de ce rapport".

 

On remarque que, bien que M. Viaux ait corrigé ces dires erronnés et calomnieux, la version qui domine encore aujourd'hui est toujours celle de la défense.

 

Lors de ces co-expertises avec Mme Gryson-Dejehansart pour quatre des enfants, il a estimé que: "En résumé, ce sont des enfants souffrant d'un traumatisme d'origine sexuelle. La seule explication à cet état, fournie par eux comme par le dossier, sont des agressions sexuelles : je souligne, que, pour deux d'entre eux, même s'ils n'avaient rien dit de leur histoire, on aurait pu faire un signalement au seul vu des tests passés".

 

M. Viaux profite de cette audition pour expliquer comment se déroulent les expertises, quels paramètres et quels critères sont pris en compte et évalués. Chose qu'aucun expert n'a eu le loisir de faire lors des procès.

 

> J-A Lathoud, ancien procureur général à Douai

 

Il est entendu le 14 mars 2006.

 

Après avoir rappelé les moyens dérisoires de son tribunal, il précise que "onze magistrats du parquet général de Douai ont travaillé successivement sur ce dossier, au cours de ces trois ans".

 

Il explique de quelle manière ils ont travaillé et estime qu'ils ont fait ce qu'ils avaient à faire:

"Les membres du parquet croyaient en leur dossier. Ils pensaient qu'il existait des charges : déclarations précises, corroborées par des adultes - assistantes maternelles, travailleurs sociaux, experts -, confirmées par la découverte un peu effrayante de 170 cassettes pornographiques, d'objets érotiques, de pratiques sexuelles hors norme. Nous étions à l'époque, dans le Nord-Pas-de-Calais, très sensibilisés à la lutte contre les violences intra-familiales.

Nous avions des enfants en souffrance devant nous. Nous devions les protéger. À l'époque la parole de l'enfant était « sacralisée Â». Il est vrai que les enregistrements des interrogatoires ont été défaillants, faute de matériel adéquat et en raison de la formation insuffisante des enquêteurs à ces techniques".

 

Au sujet des violations du secret de l'instruction, J-A Lathoud interroge: "Je demande aux avocats si elles sont, selon eux, le fait du juge d'instruction. Ils me répondent que non. Je peux d'ailleurs vous assurer que ni Me Berton ni Me Delarue ne m'ont dit du mal du juge d'instruction".

> Me M. Pantaloni, avocat de quatre enfants au procès de Paris

 

Il est entendu le 15 mars 2006:

 

L'avocat explique être intervenu avec son collègue Me Leick, pour le procès en appel, "après de précédents conseils qui avaient renoncé à assurer la défense des enfants". Lui représentait "les trois enfants qui mettaient en cause M. Dominique Wiel, ainsi que le fils de M. Marécaux", qui se sont tous rétractés lors ce procès.

 

Il rappelle que "Le dossier n'était pas vide de charges, et c'est pour cette raison qu'il y avait eu renvoi devant une cour d'assises, qu'il y avait eu des condamnations, des acquittements, et des condamnés, dont certains n'avaient pas interjeté appel, et d'autres si."

 

Alors qu'il défendait les intérêts de ces enfants, il explique que "Les déclarations des enfants qui mettaient en cause M. Dominique Wiel me sont d'abord apparues un peu formatées, répondant à peu près à la même logique interne, ce qui m'avait surpris" (...) Aux trois enfants qui mettaient en cause M. Dominique Wiel, j'ai dit qu'il y avait une grande différence entre un petit garçon de neuf ans, qui a fait les déclarations qu'il a faites, et le jeune homme qu'il était devenu, et que cela ne me poserait pas de problème s'ils ne disaient plus la même chose aujourd'hui, qu'en tout état de cause je serais à leurs côtés"..

 

Puis, viennent des rétractations: "Deux de ces enfants ne sont pas revenus sur leurs déclarations. Le troisième était partiellement revenu sur ses déclarations, mais il était difficile d'apprécier ses propos du fait de la place des parents.

S'agissant du fils de M. Alain Marécaux, je ne l'ai rencontré que quelques minutes avant l'audience. Sa mère m'avait téléphoné, après avoir été invitée à me rencontrer. Elle m'a écrit une lettre, que j'ai d'ailleurs remise à la cour d'assises, et qui pouvait poser question".

 

Puis lors des débats, "Les enfants qui accusaient M. Dominique Wiel sont revenus sur leur parole. Son acquittement s'imposait, et c'est très naturellement qu'il est intervenu. Le fils de M. Marécaux a confirmé ses déclarations".

 

Plus loin durant l'audition, quand le député Georges Fenech, également avocat (il a dit qu'il défendra Daniel Legrand)., lui demande: "le procureur général Yves Lesigne et l'avocat général Jannier nous ont dit ici leur certitude de l'innocence des acquittés. Pourriez-vous dire la même chose ?", Me Pantaloni refuse de répondre. En effet, en tant qu'avocat de plusieurs enfants, ce n'est pas à lui que M. fenech aurait du poser cette question.

> Me D. Leick, avocat de cinq enfants à Paris

 

Il est entendu en même temps que Me Pantaloni.

 

Il défendait au procès en appel à Paris "trois des enfants du couple Delay-Badaoui, et deux des enfants du couple Lavier". Il précise que "Ces cinq enfants ont été reconnus, par la cour d'assises de première instance de Saint-Omer, victimes de viols et agressions sexuelles. Pour eux la pédophilie n'a pas été un mythe, mais objectivement, judiciairement, et sans doute vraiment, dans leur chair, le drame et la catastrophe de leur jeune existence".

 

Les avocats de la défense et la presse ont beaucoup glausé sur cette enfant qui a dit avoir été violée par trois hommes en même temps, alors qu'un examen médical a montré qu'elle était toujours vierge.

 

Me Leick explique ce qu'il s'est réellement passé lors de l'audience: "il est important de s'entendre sur les mots. Je me souviens d'une enfant, qui déclarait avoir été violée, alors qu'elle était vierge. Il y avait un réel problème ! Et quand le juge Burgaud est le premier, je dis bien le premier, à lui demander si elle sait ce que veut dire le terme "violer", elle répond : "C'est s'allonger sur les enfants quand ils ne sont pas du tout habillés, quelque fois on rentre le zizi dans l'enfant, ça fait très mal, on embrasse les enfants sur la bouche, on touche les enfants partout." Quand on s'est donné la peine de poser des questions précises, de nommer les choses, et d'écouter les réponses, on a déjà un début de réponse à l'invraisemblable. Elle peut estimer avoir été violée, alors que juridiquement, et physiologiquement, elle n'a pas été victime de viol". Plus loin, au sujet de cette petite il dit "Je rappelle que cette enfant a été reconnue victime de viol de la part de trois ou quatre condamnés définitifs".

 

Les avocats de la défense et la presse ont beaucoup attaqué les assistantes maternelles, ces femmes chez qui les enfants avaient été placés quand leurs parents ont été arrêtés, et à qui ils ont progressivement raconté les faits. Ces femmes ont eu à coeur de recueillir la parole de ces enfants, et ont fait leur devoir en répétant cela aux services sociaux, puis au juge. Que doit faire un adulte qui entend un enfant lui raconter des viols collectifs, qui lui parle de plusieurs victimes, de films qui sont tournés, d'argent qui circule, de virées en Belgique?

 

Au sujet de ces assistantes maternelles, Me Leick explique: "je me souviens de plusieurs dépositions d'assistantes maternelles à la cour d'assises de Paris. Certaines avaient entendu les enfants leur faire des révélations. Une a dit avoir filé dans sa chambre, s'être enfermée, avoir pleuré. Le ciel leur tombait sur la tête. Certaines ont noté sur un papier. Le temps a passé, l'enfant a pu revenir sur ses déclarations, et l'avocat général Yves Jannier de reprocher à ces assistantes d'avoir été des scriptes par trop serviles et d'avoir entretenu l'enfant dans des déclarations qui, au bout du processus judiciaire, paraissent ne pas correspondre à la vérité ! L'audience se poursuit, et il s'avère que d'autres assistantes maternelles ont adopté une méthode différente. Elles ont attendu, elles ont repris leurs esprits, et elles en ont parlé le lendemain. Il y en a même une qui dit avoir tendu un piège, et promis trois desserts si l'enfant disait la vérité - et le gamin s'est mis en colère. Et l'avocat général de reprocher à cette assistante, qui a eu l'attitude inverse de la première, d'avoir recueilli la parole de l'enfant en l'interrogeant. Qu'elles aient fait blanc ou noir, de toutes manières, elles avaient mal fait ! C'est un peu facile. Elles ont fait comme elles ont pu".

 

 

Auditions par l'Inspection Générale des Services Judiciaires

En plus de la commission d'enquête parlementaire, une enquête a été menée par l'IGSJ, l'Inspection Générale des Services Judiciaires. De nombreux magistrats concernés par l'affaire ont été entendus, et ils ont dit, souvent, les mêmes choses que devant la commission d'enquête parlementaire.

 

Voici quelques extraits des auditions de magistrats:

Audition de C.M., que l'on sent assez écoeurée par la manière dont les choses se sont passées dans l'affaire Outreau:

Audition de D.B., qui évoque notamment le travail du juge Burgaud:

Audition de E.M, qui parle des conditions dans lesquelles les enfants ont été entendus, et de la stratégie des avocats de la défense:

Note de l'Inspection Générale des Affaires Sociales

En plus de la commission d'enquête parlementaire et de l'enquête de l'Inspection Générale des Services Judiciaires, une autre enquête a été menée auprès des services sociaux, par l'IGAS, l'Inspection Générale des Affaires Sociales. Le but était de retracer le parcours médical de 14 enfants concernés par l'affaire Outreau. Avec le rapport, une note confidentielle a été remise au ministre de la Santé début 2007.

 

Vous n'en trouverez aucune mention dans les interviews des avocats de la défense, ni dans les articles sur le calvaire des acquittés.

 

C'est le magazine Le Point, un des seuls médias avec La Semaine dans le Boulonnais, qui a su garder la raison au sujet de l'affaire Outreau, malgré un emballement médiatique hallucinant.

 

Au sujet du rapport de l'IGAS, on pouvait lire dans Le Point en avril 2007 que: "Pour cinq d'entre eux, dont les parents ont été reconnus innocents, l'Igas relève des indices évocateurs d'abus sexuels. Il ne s'agit pas de preuves, mais seulement de signaux d'alerte qui justifient selon l'Inspection d'être pris en compte au nom de la protection de l'enfance. C'est d'ailleurs à ce titre que le ministre de la Santé a adressé copie de ce document hautement confidentiel au médecin responsable de la Protection maternelle et infantile (PMI) du Nord-Pas-de-Calais. Avec pour consigne de veiller de façon attentive à la santé des cinq enfants"

 

L'article nous apprend aussi que tous ces documents, récupérés auprès des médecins de famille, de l'hôpital et des PMI, n'étaient pas entre les mains du juge Burgaud. Ils n'étaient donc pas dans le dossier d'instruction et n'ont pas été abordés durant la procédure alors qu'ils montrent des risques évidents de maltraitances sexuelles pour cinq enfants d'acquittés.

 

Cela, les avocats de la défense le nient, évidemment. Ainsi, la réaction de Franck Berton, rapportée par le journal: ""C'est scandaleux ! La justice avait tous les dossiers médicaux", s'emporte Franck Berton, l'un des avocats des acquittés, qui menace de porter plainte pour protéger la réputation de ses clients. Et de dénoncer "une ultime manoeuvre pour laisser entendre que la justice ne s'est pas totalement trompée".

 

Le Point rappelle aussi qu'une enquête sur les services sociaux a été demandée à l'IGAS, qui n'a, elle non plus, relevé aucune faute. Les enfants ont été suivis de manière normale, sans négligence. Les procédures ont été suivies, sachant que la loi recommande de laisser le plus possible les enfants dans leur milieu familial.

 

Audition de J-C. M., qui révèle notamment que la veille du procès à Saint-Omer, les avocats de la défense ont soumi une liste de 150 témoins appelés à la barre, alors que pour l'organisation du procès il avait été demandé d'anticiper un minimum.

On apprend aussi qu'à la demande des avocats de la défense, les "confrontations" entre les accusés et les enfants victimes ont eu lieu au tribunal, devant 200 personnes.


Enfin, le magistrat explique l'ambiance qui régnait durant le procès, notamment quand les enfants étaient appelés à témoigner.

 

Le magistrat évoque ensuite les aveux d'Alain marécaux quand son fils était à la barre, des aveux qui n'ont pas été actés:

Il évoque ensuite les aveux et rétractations de Daniel Legrand, ainsi que des menaces qu'il aurait reçues en prison après avoir fait ses révélations à France 3, à un expert et au juge:

Puis, il est question du manque de temps qui a été un gros problème de l'instruction. Un manque de temps lié au fait que beaucoup d'accusés étaient placés en détention préventive et que celle-ci doit être limitée dans le temps. En l'occurrence, certains sont restés 3 ans en préventive, et il fallait absolument clore le dossier:

Le magistrat évoque ensuite les experts. Il rappelle qu'un deuxième collège d'experts a été nommé pour voir les enfants durant le procès, et que leurs conclusions ont confirmé celles des premiers experts, qui avaient été vilipendés par les avocats de la défense:

Voici un plaidoyer rédigé par l'avocat de Jonathan Delay, partie civile au procès de Rennes.

Il y a démonte quelques-unes des manipulations du club des acquittés et de leurs avocats, comme l'argument scabreux selon lequel Daniel Legrand aurait été accusé par pur hasard dans ce dossier, parce qu'on aurait mal lu une liste de noms écrite par l'un des enfants victimes, ou encore l discours selon lequel toute la vérité aurait pu émerger lors de l'audience en appel...

 

"On a habilement opposé à la lecture du dossier la "magie de l’audience" qui aurait permis de l’éclairer. C’est dans une sérénité retrouvée, lors d’une audience de rédemption collective à Paris, que l’on a pu démontrer que cette affaire n’était qu’une somme de manipulations et d’incompétences, personnalisée par un juge arrogant et inhumain qui aurait, presque à lui seul, engendré cette catastrophe judiciaire.


Mais qu’en est-il de cette "magie" quand elle se révèle être construite sur des manipulations de la réalité, utilisées comme des paravents pour masquer ce qui a été dit ou vérifié de façon objective ?


Pourquoi Daniel Legrand fils, s’il est innocent, a t-il eu besoin de mentir pour construire sa vérité ?
Avant une audience d’assises, il faut un dossier écrit. Dans cette affaire, comme dans tous les dossiers criminels, il existe des éléments incontournables et incontestables sur lesquels il sera bientôt demandé à Daniel Legrand fils de s’expliquer
".

 

Et il est clair que ce même club des acquittés a peur en ce moment. De quoi? Il serait intéressant de le savoir. Pourquoi autant d'articles et de reportages biaisés, ne donnant au public qu'une petite partie des éléments sur l'affaire, et les présentant de manière manipulatoire? En somme: pourquoi autant de déformations aberrantes de la réalité?

 

Quant à Daniel Legrand qui se serait donc retrouvé dans ce dossier "par erreur" et qui dit n'avoir jamais mis les pieds à Outreau: "Le nom de "Legrand" n’est donc pas entré dans le dossier par erreur, contrairement à ce que l’on a pu dire et écrire dans ce dossier, et les hasards malheureux qui semblaient s’acharner pour relier Daniel Legrand à la Tour du Renard s’inscrivent dans cette réalité que l’on ne peut ignorer.

 

(...) Une lecture attentive de ses déclarations montre qu’il donne des détails que seule une personne ayant participé aux faits pouvait connaître et, contrairement à ce qui a été dit par la suite, il ne s’est pas contenté de répéter ce que Myriam Badaoui avait pu dire devant lui ou de ce qu’il avait pu lire dans un article du Nouveau Détective, qui n’était qu’un condensé des rumeurs alors en cours, d’ailleurs non reprises par lui, ou dans la presse locale.

 

(...) Comment ce jeune homme, pris dans la tourmente de cette affaire, a t-il pu, non seulement reconnaître sa responsabilité, mais également identifier sur photo des auteurs et des victimes ? Et pourquoi ?"

Patrice REVIRON

avocat de Jonathan Delay

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